Les changements climatiques amènent déjà de nombreux défis aux producteurs, incluant une amplification de la pression et des pertes associées aux maladies fongiques en raison d’une augmentation de conditions climatiques favorables au développement de maladies, l’hibernation des agents pathogènes dans des régions plus au nord qu’auparavant, et l’apparition plus hâtive de maladies. Selon Chaloner et al. (2021), le niveau de risque d’infection de 80 agents phytopathogènes augmentera dans les régions de latitude plus élevée en raison des changements climatiques, mettant à risque la production agricole canadienne et québécoise.
Le blé (Triticum aestivum) est l’un des produits alimentaires les plus importants, représentant environ 20 pourcents du total des calories et des protéines consommées dans le monde (Chai et al. 2022). Comme toutes cultures, le blé est à risque de pertes de rendement et de qualité en raison de la présence de maladies et de ravageurs. Les maladies foliaires et des épis les plus courantes dans la production du blé québécoise sont l’oïdium (Blumeria graminis f. sp. tritici), la rouille brune (Puccinia triticina f. sp. tritici), le complexe de taches foliaires (Zymoseptoria tritici, Stagnospora nodorum, et Pyrenophora tritici-repentis), et la fusariose de l’épi (complexe de Fusarium spp.). Les maladies foliaires interrompent le processus de photosynthèse, consomme l’eau et les nutriments essentiels à la plante, et peuvent ainsi créer des pertes de rendement de plus de 50% dans les cultivars sensibles en conditions climatiques favorables (Huerta-Espino et al., 2011). Les agents phytopathogènes de la fusariose peuvent créer des pertes de rendement et de qualité, incluant la production de mycotoxines nocives (déoxynivalénol ou vomitoxine, nivalénol, zéaralénone). Présentement, Fusarium spp. est considéré l’agent phytopathogène le plus important au Québec pour les cultures de blé en raison de sa contamination des grains par des mycotoxines et leurs effets négatifs sur la santé des humains et des animaux. Selon les conditions climatiques et la pression des agents pathogènes, des pertes de rendements variant de 5 % à 44 % peuvent attribuable aux les maladies foliaires et la fusariose (Ransom et McMullen 2008; Savary et al. 2019; Wegulo et al. 2009), dans lesquelles des pertes plus importantes peuvent être combinées par des pertes de qualité de la farine ainsi que par la contamination des grains dues à une quantité de mycotoxines dépassant les seuils permis, transformant les grains en produits impropres à la consommation humaine et animale. Par conséquent, les pertes de production peuvent aller jusqu’à 95 % (Haidukowski et al. 2022). Aux États-Unis, il est estimé qu’environ 30 % de la superficie agricole cultivant du blé a été traitée avec des fongicides en 2017 (USDA-NASS, 2018), tandis qu’un rapport de Jørgensen et al. (2017) suggère que les céréales, principalement le blé, sont responsables de 21 % des applications de fongicides foliaires mondialement. Des informations importantes concernant la production de blé au Québec sont manquantes, mais selon les informations de réclamations fournies par la FADQ, les réclamations classifiées comme dues aux maladies du blé représentent de 0,05 % à 0,77 % des superficies assurées entre 2001 et 2021, alors que les réclamations classifiées comme étant dues à la fusariose sont de 0,17 % à 3,88 % des superficies assurées pour la même période. Parmi toutes les réclamations concernant le blé de printemps, 98 % et 97 % des étaient pour des problèmes reliés à la fusariose et aux maladies, respectivement. Étant donné que le blé de printemps représentait autour de 90 % des superficies de blé durant cette période, les informations du FADQ suggèrent que le blé de printemps est plus à risque de pertes dues aux maladies et à la fusariose que le blé d’automne. Par contre, les informations de réclamation auprès de la FADQ ne prennent pas en compte les pertes dues aux maladies sur les superficies de blé sans réclamations ou non assurées. De plus, les réclamations auprès de la FADQ ne distinguent pas entre les différentes maladies, rendant une analyse de l’importance des différentes maladies foliaires difficile. Finalement, en raison des fortes corrélations entre la météo et la présence de maladies, les pertes dues aux maladies sont parfois classées sous des catégories climatiques (communication personnelle avec la FADQ), ce qui pourrait créer une sous-estimation des pertes dues aux maladies. Un meilleur portrait de la situation aidera les producteurs à prendre des décisions informées quant à la nécessité ou non d’utiliser des fongicides foliaires dans les cultures de blé au Québec.
La gestion intégrée des ennemies de cultures (GIEC) combine des bonnes pratiques culturales, des moyens de lutte biologique, et, comme dernière ligne de défense, l’utilisation de pesticides chimiques. En raison des effets négatifs des pesticides chimiques sur la santé de l’humain et des animaux, ainsi que sur l’environnement, les principes de la GIEC dictent d’utiliser les pesticides seulement quand toutes autres options de protection de la culture ont été utilisées et lorsque l’utilisation de pesticides chimiques est nécessaire et justifiée.
Dans le cas de maladies foliaires du blé, l’utilisation de cultivars résistants peut aider à réduire les dommages dues aux différentes maladies fongiques. Ce moyen de lutte est une des premières lignes de défense contre les maladies et est généralement considéré comme efficace, rentable et écologique. Les bénéfices de l’utilisation d’un cultivar résistant, incluant les augmentations de rendement, sont fortement dépendantes sur le niveau de résistance du cultivar utilisé (Carmona et al., 2020; Klocke et al., 2023; Mercer et Ruddock, 2005; Zhang et al., 2007). Au Québec, les cultivars reçoivent une cote de résistance aux maladies foliaires (1, très bonne résistance, 4 susceptible) et à la fusariose de l’épi (R, très bonne résistance, 5, susceptible) lors de leur enregistrement dans les essais du Réseau des grandes cultures du Québec (RGCQ). Des cultivars ayant une bonne résistance (multirésistance) aux différentes maladies existent, permettant aux producteurs de choisir au moins un cultivar qui performera bien peu importe la maladie présente (rouille brune, oïdium, tâches foliaires ou fusariose de l’épi) (RGCQ, 2024). Malgré la disponibilité de tels cultivars, de nombreux producteurs utilisent fréquemment des cultivars susceptibles à divers maladies, comme UGRC Ring, en raison de leur très haut rendement. Par contre, l’utilisation de cultivars susceptibles nécessite souvent plus d’applications de fongicides comparé à un cultivar résistant (Carmona et al., 2020; Klocke et al., 2023; Mercer et Ruddock, 2005; Zhang et al., 2007).
Des modèles prévisionnels pour la fusariose de l’épi ont été développés au Québec (Dion et al., 2018) et sont disponible gratuitement aux producteurs (Agrométéo). Ces modèles prévisionnels sont présentés sous forme de cartes interactives, permettant aux producteurs de savoir en temps réel le niveau de risque d’infection de l’épi par Fusarium graminearum et sont fréquemment consultés par les producteurs et les agronomes afin de prendre une décision informée quant à la nécessité ou non d’appliquer un fongicide lors de la floraison pour contrôler la fusariose de l’épi. Pour les maladies foliaires, les seuils d’intervention représentent le niveau de sévérité d’une infection à lequel une application de fongicide permettra d’éviter des pertes de rendements et sera rentable. Les seuils d’intervention des maladies foliaires indiquent qu’une intervention devrait être faites si les trois feuilles du haut de la plante aux stades
Zadoks 30 et plus (feuille étendard à la feuille -3) présentent de symptômes d’une maladie foliaire (Agriculture and Horticulture Development Board, 2024; Faske et al., 2021; Réseau d’avertissement phytosanitaire 2022, 2024). Les seuils d’intervention varient d’une maladie à l’autre, et sont généralement acceptés comme une moyenne d’une à quatre pustules par feuille 3 et plus pour la rouille brune, une moyenne de cinq lésions de mycélium par feuille -2 et plus pour l’oïdium, ou de 10 % à 25 % des feuilles -3 et plus atteintes par une des maladies du complexe de taches foliaires (Faske et al., 2021). Par contre, il faut aussi considérer le niveau de résistance d’un cultivar et les prévisions météorologiques afin de bien évaluer la nécessité d’appliquer un fongicide, parce qu’une application sera peut-être justifiée pour un cultivar susceptible, mais une application pour un cultivar résistant ne sera peut-être pas justifiée selon les prévisions météorologiques. En effet, plusieurs études ont démontré que l’utilisation d’un cultivar ayant un bon niveau de résistance à une maladie peut aider à réduire les applications de fongicides foliaires (Carmona et al., 2020; Klocke et al., 2023; Mercer et Ruddock, 2005; Zhang et al., 2007). En général, les cultures sont affectées par de multiples pathosystèmes, qui considèrent plus d’une maladie survenant simultanément. Les pathosystèmes multiples doivent être pris en compte dans la décision de l’application d’un fongicide. Malgré ces faits et l’établissement de seuils économiques, il existe encore de l’incertitude quant à l’efficacité et la rentabilité de ces seuils au Québec. En effet, un sondage mené par le CÉROM afin mieux comprendre l’utilisation des fongicides foliaires dans le blé a suggéré que les pratiques concernant l’application de fongicides foliaires dans le blé varient, certains producteurs appliquant des fongicides foliaires 1 à 2 fois systématiquement, d’autres font une application systématiquement avec la possibilité d’une deuxième application selon le niveau de risque (AgroMétéo ou présence de maladie), alors que d’autres font de une à deux applications selon le niveau de risque (AgroMétéo ou présence de maladie). Par contre, les critères concernant les seuils d’intervention des répondants variaient aussi. La majorité des répondants utilisaient AgroMétéo comme critère, mais les seuils pour les maladies foliaires variaient avec certains répondants indiquant qu’une application de fongicide foliaire serait réalisée lorsqu’une maladie est observée sur n’importe quelle feuille. Pour d’autres, l’application est envisagée lorsqu’une maladie est présente sur une des trois feuilles du haut, alors que d’autres qui visent à intervenir seulement lorsque la feuille étendard est atteinte. Des questions se posent également quant à l’existence d’une différence de seuil de dommage économique entre le blé de printemps et le blé d’automne, malgré que la littérature ne distingue pas de seuils différents pour les deux cultures. Une étude québécoise comparant des applications systématiques et des applications selon la situation en évaluant les cultivars de blé d’automne et de blé de printemps est donc nécessaire afin de démontrer aux producteurs que l’utilisation de seuils économiques est rentable.
De plus, il y un manque d’information concernant l’utilisation de cultivars résistants et multirésistants et leur impact sur la réduction des besoins en fongicides foliaires tout en rentabilisant la production du blé. Une étude de Klocke et al. (2023) a démontré que l’utilisation conjointe de cultivars multirésistants et des seuils de dommage économiques et les prévisions météorologiques peut réduire les applications de fongicides foliaires par 80 % comparé aux traitements systématiques ou par calendrier. Dans cette même étude, il a été démontré qu’un cultivar susceptible nécessitait 2,4 fois plus de fongicides foliaires comparé à des cultivars multirésistants. Au niveau de la rentabilité, Klocke et al. (2023) ont démontré qu’en moyenne, les parcelles sans traitement par fongicides et les parcelles suivant les seuils d’intervention étaient plus rentable que les applications systématiques, sauf dans le cas de l’utilisation d’un cultivar très susceptible. Cette étude démontre donc que l’utilisation de cultivars résistants ou multirésistants présente un fort potentiel pour non seulement réduire les applications de fongicides foliaires dans le blé, mais aussi pour rentabiliser la production du blé. Une étude similaire au Québec est primordiale pour démontrer aux producteurs que l’utilisation de cultivars résistants est profitable, et à la potentielle de réduire les effets négatifs sur l’environnement et la santé humaine et animale.